Le premier numéro des « Débats de l’ITS » était consacré à une première approche de la crise de la démocratie : « les dimensions de la démocratie ».
Ce second numéro est consacré aux précarités.
Denis Clerc montre comment la précarité de l’emploi, du travail et des droits aboutit au développement d’une « pauvreté laborieuse » ; ce n’est plus seulement l’insuffisance des emplois qui engendre la pauvreté, mais la mauvaise qualité de ceux qui se créent.
Margaret Maruani observe que l’emploi féminin croît en fait à l’ombre du chômage et de la précarité, que le processus de prolétarisation se prolonge au-delà du temps de travail : les écarts de revenus entre les femmes et les hommes sont encore plus importants à l’âge de la retraite qu’en période d’activité.
Hélène Crouzillat raconte comment elle est tombée dans le trou de la Sécurité Sociale ; elle fait partie de cette population « intersticielle » pour laquelle les filets de la protection sociale sont distendus.
Les migrants sont encore plus précaires que d’autres. Catherine Wihtol de Wenden nous rappelle que le droit à la mobilité doit être considéré comme un droit de l’homme, et que les droits doivent être égaux pour ceux qui sont sédentaires comme pour ceux qui sont mobiles.
Enfin, Sophie Béroud pose la question de l’élargissement des luttes dans l’espace et dans la durée. Pour elle, les syndicats, organisés jusqu’à présent sur la base de l’entreprise, sont confrontés à la nécessité de redéfinir leurs terrains d’intervention, leurs modes d’action, leurs structures.
« Il n’y a pas de bons réfugiés ou de mauvais migrants, il n’y a que des migrants politiques » dit Emmanuel Terray lors d’un entretien réalisé par Nadjib Touaibia pour l’Humanité Dimanche. Anthropologue de renom, Emmanuel Terray a été en première ligne dans la défense des sans papiers expulsés de l’église Saint-Bernard à Paris, en 1996. Aujourd’hui face aux questions de l’accueil des migrants en Europe, il dénonce la logique de l’Occident « maître du monde », responsable des flux migratoires dramatiques, et montre que la réponse de l’Europe reste très en dessous des enjeux et indigne des défis auxquels elle est confrontée. Pour lui, le problème ne date pas d’hier, cela fait des années que des réfugiés se noient en Méditerranée ou en mer Égée. L’Europe a beaucoup tardé à prendre la mesure exacte de la situation. Quant à la distinction faite par les maires ou la presse entre les bons et les mauvais migrants, ceux qui fuient la guerre ou qui viennent pour des raisons économiques, Emmanuel Terray a pris l’habitude de répondre qu’il n’y a que des migrants politiques. Les migrations sont dues, d’une part, aux guerres décidées par les grandes puissances et d’autre part au maintien par l’Occident de régimes autoritaires et corrompus et, enfin plus particulièrement pour l’Afrique, aux accords de libre échange que l’UE impose et qui ruinent l’agriculture et condamnent les paysans à l’exil. Nous sommes face à des conséquences somme toute logiques, à des effets de politiques bien déterminés.
La paupérisation et la discrimination sont un fait dans les quartiers populaires appelés pudiquement « ZUS », Zones urbaines sensibles ou quartiers prioritaires. La pauvreté s’est accentuée dans ces territoires, elle est également très prononcée dans les camps de migrants ou zones de non droit dans les périphéries où les discriminations, la xénophobie et le racisme y sont plus marqués qu’ailleurs. Il est nécessaire d’aller au-delà du caractère réducteur des images des banlieues pour faire une analyse de la complexité des situations locales. Le diagnostic de la situation est pessimiste car on constate qu’en trente ans de politique publique en faveur de ces territoires, celles-ci n’ont pas réussi à entraver les processus de paupérisation, de ghettoïsation ; action sociale et rénovation urbaine ont du mal à s’accorder. Comment agir, ouvrir des possibles ? Des pistes existent, qui supposent de mettre l’accent plus sur les objectifs que sur les débouchés : l’important devrait être d’abord de « faire avec » en reconnaissant en premier lieu ces populations, en leur donnant les moyens d’expression et de formation.
Peu éloignée du centre de Paris, Aubervilliers est une ville populaire (76.800 habitants), avec un passé industriel important, qui semble aujourd’hui cumuler les difficultés : populations pauvres, chômage élevé, habitat dégradé, échecs scolaires, problèmes de santé . Aubervilliers est un voyage permanent avec 97 nationalités différentes sur son territoire.
Evelyne Yonnet y milite depuis longtemps. Conseillère municipale (aujourd’hui d’opposition), sénatrice, elle a fait partie de l’équipe municipale animée par Jacques Salvator, qui, de 2008 à 2014, a voulu « tirer Aubervilliers vers le haut », avec une population dont la diversité a été considérée comme un levier : éradication de l’habitat indigne, développement d’accès aux soins adaptés à la population, actions d’insertion dans tous le domaines, en prenant appui sur les associations, les conseils de quartier.