Le syndicalisme dans tous les pays du monde s’affaiblit et ne représentent plus les travailleurs car le statut du salariat tel qu’il était, est aujourd’hui pratiquement inexistant. Joël Decaillon observe que 75% des travailleurs sont, dans le monde, sans protection sociale, et 60% n’ont aucun contrat de travail ; la crise de 2008 a affaibli l’ensemble des syndicats de la Méditerranée. Les mutations organisationnelles de l’entreprise, aujourd’hui conçue comme globale, c’est-à-dire avec des ramifications internationales, des sous-traitants, des groupes concurrentiels mais appartenant à l’entreprise, proposent aux travailleurs un nouveau système d’organisation, de justice sociale tant dans la protection individuelle que collective. Les accords d’entreprise prennent aujourd’hui le pas sur les accords de branche sans prendre en compte le besoin du travailleur. On peut se poser la question du qui représente aujourd’hui les syndicats. Joël Decaillon estime qu’aujourd’hui le syndicalisme ne peut plus s’organiser uniquement autour de la question de la redistribution. L’entreprise doit être perçue au sein de son environnement, dans le cadre d’une nouvelle conception du développement. Cela implique la nécessité de concevoir un nouveau type de syndicalisme, que l’éclatement syndical actuel ne favorise pas.
Le premier numéro des « Débats de l’ITS » était consacré à une première approche de la crise de la démocratie : « les dimensions de la démocratie ».
Ce second numéro est consacré aux précarités.
Denis Clerc montre comment la précarité de l’emploi, du travail et des droits aboutit au développement d’une « pauvreté laborieuse » ; ce n’est plus seulement l’insuffisance des emplois qui engendre la pauvreté, mais la mauvaise qualité de ceux qui se créent.
Margaret Maruani observe que l’emploi féminin croît en fait à l’ombre du chômage et de la précarité, que le processus de prolétarisation se prolonge au-delà du temps de travail : les écarts de revenus entre les femmes et les hommes sont encore plus importants à l’âge de la retraite qu’en période d’activité.
Hélène Crouzillat raconte comment elle est tombée dans le trou de la Sécurité Sociale ; elle fait partie de cette population « intersticielle » pour laquelle les filets de la protection sociale sont distendus.
Les migrants sont encore plus précaires que d’autres. Catherine Wihtol de Wenden nous rappelle que le droit à la mobilité doit être considéré comme un droit de l’homme, et que les droits doivent être égaux pour ceux qui sont sédentaires comme pour ceux qui sont mobiles.
Enfin, Sophie Béroud pose la question de l’élargissement des luttes dans l’espace et dans la durée. Pour elle, les syndicats, organisés jusqu’à présent sur la base de l’entreprise, sont confrontés à la nécessité de redéfinir leurs terrains d’intervention, leurs modes d’action, leurs structures.
Les stratégies syndicales sont remises en cause par le processus de précarisation et de mutation de l’emploi. Il est de plus en plus difficile pour le syndicat de représenter l’ensemble du salariat et en particulier les segments les plus fragilisés de celui-ci du fait de la sous-traitance, de l’externalisation du travail ou de ce qui se passe dans les grandes entreprises publiques ou privées telle la Poste. Le mouvement syndical contemporain est particulièrement désarmé face à l’éclatement des statuts d’emploi et des statuts juridiques au sein de ce qui constitue, de fait, une même communauté de travail et ne peut évoluer aussi vite qu’il le serait souhaitable, même si des réponses commencent à exister. Ce nouveau contexte oblige à repenser une nouvelle structuration syndicale, sur le modèle du syndicalisme d’entreprise comme la CGT par exemple ou par le lancement et l’animation de nouvelles structures syndicales adaptées au périmètre d’un site de production ou d’une zone commerciale incluant parfois des structures publiques. Si des réponses – du côté de l’adaptation des structures syndicales ou du lancement de campagnes ciblées – commencent à exister face au processus de précarisation et aux multiples déstabilisations qu’il induit, celles-ci demeurent encore trop limitées pour modifier de façon substantielle le rôle du syndicalisme auprès des salariés précaires.
Sophie Béroud est maître de conférence de science politique à l’Université Lumière Lyon 2. Elle travaille sur les transformations des organisations syndicales, l’organisation et la mobilisation des salariés précaires, l’évolution des grèves et des conflits du travail. En 2009 elle a co-dirigé Quand le travail se précarise, quelles revendications collectives? (La Dispute)
Cinquante ans après, la mémoire collective des Français conserve encore présentes les images du Front populaire : grèves, occupations d’usines, manifestations, accords Matignon, semaine des 40 heures, congés payés, etc. Les bibliothèques ne manquent pas d’études, de souvenirs, de mémoires qui tracent à grands traits ou dans le détail cette période mouvementée. Jacques Kergoat, auteur d’une histoire du Parti socialiste de la Commune à aujourd’hui (Le Sycomore), ne s’est donc pas cantonné dans l’histoire politique chronologique. Il a reconstitué l’ambiance et le décor avant d’y laisser jouer les personnages. Bénéficiant d’importants documents jusqu’alors inédits et de nombreux entretiens avec des acteurs, il s’est efforcé de montrer les incertitudes, les hésitations, les rêves et les passions des Français des années trente. C’est une France provinciale et rurale plus que parisienne que nous visitons. Une France qui semble se réveiller d’un long sommeil tranquille et qui découvre avec stupeur les nouvelles contraintes de ce temps de crise. La jeunesse revendique une place; les femmes travaillent, manifestent et font grève; la seconde génération d’immigrés italiens et polonais s’intègre tant bien que mal dans une France composite, qui accueille alors des réfugiés espagnols. Les anciens combattants deviennent pacifistes et parfois anti-militaristes. Les partis politiques et les syndicats vivent des clivages, des scissions ou des recentrages. Ainsi toute la société amorce une profonde mutation. De l’empire colonial aux nouvelles industries, de la musique au cinéma, tout exprime ce remue-ménage. Le Front populaire est l’instant privilégié de ces changements : signe de santé sociale, élan d’optimisme, volonté d’un mieux-être. C’est cela que l’ouvrage nous fait découvrir. Jacques Kergoat ne s’adresse pas aux seuls spécialistes du mouvement ouvrier mais aussi à ceux et celles qui souhaitent comprendre l’impact d’un changement politique et social sur l’ensemble de notre société.
KERGOAT Jacques 1986 22 x 13,5 cm, 414 p. Le Découverte